Appel à contributions

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n° 40 (automne 2022)

Intermédialités. Histoire et théorie des arts, des lettres et des techniques

Intermediality. History and Theory of the Arts, Literature, and Technologies

Sous la direction de :

Frédérique Berthet, Université de Paris

Marion Froger, Université de Montréal

Date de soumission des propositions : 30 novembre 2021
Annonce des résultats de la sélection des propositions : 15 décembre 2021
Soumission des textes complets aux fins d’évaluation : 15 mars 2022
Publication des textes retenus par le comité de rédaction : automne 2022

 

Confier

Si la confiance ne cesse d’être interrogée par les économistes et les sociologues comme un phénomène sociétal dont on mesure le degré, étudie les variations à l’échelle de l’histoire, déplore le manque ou loue le règne, le geste de faire confiance et de confier reste peu étudié en tant que tel. Geste de médiation par excellence aux enjeux multiples, il implique des situations critiques, des choses vulnérables, des êtres aux destins liés, un moment et un lieu propices. Il vise une situation relationnelle, un état, un trait de caractérisation propre tout en étant sans cesse sur le fil et menacé de revirements. On confie son cœur, son âme, sa vie, ce que l’on a de plus cher, ce qui ne peut subsister sans veille. On peut être obligé de faire confiance ou choisir de le faire. On perd en assurance ce que la foi nous donne. L’acte de confier transforme une relation en pari pour l’avenir, au risque de la perdre. On fabrique des secrets, des promesses, des asiles, mais aussi des trahisons, des périls, des chagrins. Il suffit parfois d’une nuit tiède pour aligner les âmes et les corps tels les astres, et d’une autre pour que tout s’effondre.

 

Mais a-t-on toujours pris la mesure de la dimension médiale du geste ?

 

Faire confiance semble relever d’une recherche de relation sans médiation. Point besoin de contrat ou de pacte. Le lien à l’autre devient le seul garant de la bienveillance et de la vigilance de ceux qui se font confiance, réciproquement. Pourtant, il s’agit bien de « faire », donc de fabriquer les conditions qui permettent à un tel lien de s’établir, de produire « l’air » où la confiance (l’ouverture à l’autre, l’engagement) se respire. Comment instaurer la relation là où elle manque sinon, d’abord et avant tout dans le langage, comme premier médium ?

 

Comme tous les gestes, celui de confier se voit aussi façonné par son environnement sociotechnique. Confier quelque chose prend une tournure différente quand cela est fait oralement, corporellement ou au moyen de supports matériels. Ce qui est confié est toujours susceptible d’être partagé, déplacé, transmis, remédié, diffusé par toutes sortes de médias. Rapporter le geste de confiance à l’histoire des techniques (et en particulier des techniques engageant un geste artistique) permet alors de prendre la mesure de cette interdépendance et de voir évoluer les termes mêmes de la relation, entre abandon et contrat, rapport intime et ouverture créative au monde.

 

Et puis, il y a ce qui se dépose dans les médias, ce qu’ils recèlent sans qu’il y ait eu parfois intention de leur confier quoi que ce soit. Et sans doute a-t-on appris à se méfier des médias d’enregistrement et de restitution mécanisés, pas toujours si anodins, trahissant parfois l’inconscient ou transformant en continuum sonore insipide ou indistinct ce qui avait été, une fois, à la pointe de toute une vie. Les médias offrent des modalités inouïes de présence des êtres au travers de leurs voix et images enregistrées, avec d’innombrables effets sur ceux qui les entendent et/ou les voient. C’est la matière même de bien des œuvres qui émeuvent ou embarrassent — celles dont le matériau fabrique des récits de vie (fictive ou réelle) et renvoie à la confiance dont elles sont les fruits.

 

Du côté des chercheurs, c’est une éthique même de la confiance qui peut être convoquée pour éclairer méthodes, mises au point épistémologiques ou parcours scientifiques résonnant au-delà des communautés savantes. On pense ici particulièrement à la recherche sur archives, qui, à travers l’analyse rigoureuse des documents, vise également les êtres de chair et de sang (qui ont pu eux-mêmes faire le choix actif de confier les traces de leur travail ou de leur vie) et dont les fragments d’existence affleurent dans les supports médiatiques; on songe également à ce courant bibliographique ou à ces entretiens multimodaux (forment-ils un genre en soi sous la coiffe extensible de l’« ego-histoire » ?) où le chercheur se raconte, se confie, pour mieux éclairer le réseau dans lequel ses travaux et sa vie ont été ou sont pris.

 

Cette approche intermédiale a pour ambition de croiser les perspectives sur le geste de confier afin d’en mesurer l’importance au regard même de sa ténuité. On pourra l’aborder au travers d’études ciblant les aspects suivants :

 

  • Les dispositifs et ambiances qui favorisent la confidence; la relation différentielle, voire dissymétrique qui s’établit entre celle/celui qui confie et celle/celui qui reçoit; le rôle des médiations (techniques d’enregistrement, supports matériels de stockage et de restitution) dans le retournement ou la transformation des rapports instaurés.

 

  • La scène — imaginaire et réelle à la fois — qui fait du geste de confier un lien qui libère d’une souffrance ou qui, au contraire, en génère; les fictions contemporaines qui en explorent les mystères, les bris, les ressorts dramatiques ou les criminels abus; les moyens utilisés pour lamédiation de cette expérience dans différents médias.

 

  • L’acte de créer en tant qu’acte de confier. Comment les œuvres réfléchissent-elles sa dimension médiale singulière ? Qui confie quoi, à qui et comment dans le champ artistique ? L’acte de confier informe-t-il un type d’œuvre en particulier (comme le traitement du réel, par exemple) ? Comment le travail scientifique d’analyse des œuvres doit-il se transformer pour en prendre acte et y répondre ?

 

  • Ce qui déborde le présent et finit par lier les vivants et les morts. Sur quelles puissances des médiums l’action de transmission des héritiers peut-elle compter ? L’acte de confier est-il historicisable, permet-il de revivifier le passé, d’écrire et de penser l’histoire ? Combien de temps faut-il pour apprendre à confier ?

 

  • La confession à des tiers, dans l’espace médiatique qui transforme la socialité : confier et se confier, est-ce une nouvelle injonction, une modalité de restauration des liens et des êtres, un acte de résistance ? Quelle communauté se construit sur la base de ces actes ? Quel impact sur notre rapport à la collectivité ?

 

  • Que veut dire confier quelque chose à une machine ? Qu’est-ce que la médiation de la machine répare ou abîme dans le rapport de confiance entre êtres humains ? Quels enjeux éthiques sont liés à la disparition du geste de confiance de personne à personne au profit de la sécurité promise par la machine ?

 

  • Comment confier l’avenir de la planète à ceux-là mêmes qui l’ont compromis ? Quel rôle de médiation les arts peuvent-ils jouer pour nous disposer à cette tâche, pour redonner confiance au « nous », malgré tout ce que les humains ont fait s’effondrer dans l’histoire en se retournant contre leurs semblables (comme l’illustrent les génocides du 20esiècle) ou contre la nature à qui ils doivent d’être vivants ?

 

 

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Intermédialités est une revue scientifique semestrielle qui publie en français et en anglais des articles inédits évalués de façon anonyme par des pairs.

Les propositions d’articles (350–400 mots) doivent être acheminées avant le 30 novembre 2021. En plus du résumé de la proposition, une bibliographie préliminaire (cinq livres ou articles) ainsi qu’une brève notice biographique (programme d’études, champs d’intérêt, 5–10 lignes) sont demandées. Les propositions seront évaluées par le comité scientifique de la revue, en fonction de l’originalité de l’approche et de la pertinence de la problématique. Elles devront être envoyées avant le 30 novembre 2021 aux adresses suivantes :

marion.froger@umontreal.ca ; berthet.frederique@wanadoo.fr

Les articles définitifs seront à soumettre le 15 mars 2022. Ils devront avoisiner les 6 000 mots (40 000 caractères, espaces comprises) et pourront comporter des illustrations (sonores, visuelles, fixes ou animées), dont l’auteur·e de l’article aura pris soin de demander les droits de publication.

Il est demandé aux auteur·e·s d’adopter les normes du protocole de rédaction de la revue, disponible à l’adresse suivante :

[FR] http://cri.histart.umontreal.ca/cri/fr/intermedialites/protocole-de-redaction.pdf

[EN] http://cri.histart.umontreal.ca/cri/fr/intermedialites/submission-guidelines.pdf

Pour de plus amples informations sur la revue, consultez les numéros accessibles en ligne sur la plateforme Érudit : http://www.erudit.org/fr/revues/im/

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Bibliographie

AGAMBEN Giorgio, Nudités, trad. Martin Rueff, Paris, Payot & Rivages, coll. « Bibliothèque Rivages », 2009.

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BENJAMIN Walter, Sur le concept d’histoire [1940], Paris, Payot, 2017.

BERTHET Frédérique, Never(s), Paris, P.O.L, 2020.

BERTHET Frédérique et FROGER Marion (dir.), Le partage de l’intime. Histoire, esthétique, politique : cinéma, Montréal, PUM, 2018.

BOUCHERON Patrick, Ce que peut l’histoire, Paris, Fayard/Collège de France, coll. « Leçons inaugurales du Collège de France », 2016.

BUTLER Judith, Precarious Life: The Powers of Mourning and Violence, New York, Verso, 2004.

CAMPAN Véronique et al. (dir.), Qu’est-ce qu’un geste politique au cinéma ? Rennes, PUR, coll. « Le Spectaculaire-Cinéma », 2019.

CASSIN Barbara et al. (dir.), Vocabulaire européen des philosophies : le dictionnaire des intraduisibles, Paris, Seuil; Le Robert, 2004.

COQUIO Catherine, Le mal de vérité ou l’utopie de la mémoire, Paris, Armand Collin, coll. « Le temps des idées », 2015.

DERRIDA Jacques and FATHY Safaa, Tourner les mots. Au bord d’un film, Paris, Éditions Galilée/ARTE Éditions, 2000.

DESPRET Vinciane, Au bonheur des morts. Récits de ceux qui restent, Paris, La Découverte, coll. « Les empêcheurs de penser en rond », 2015.

FARGE Arlette, Essai pour une histoire des voix au dix-huitième siècle, Paris, Bayard, 2009.

FEDIDA Pierre, Le site de l’étranger : la situation psychanalytique [1995], Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2009.

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FROGER Marion et MAAZOUZI Djemaa (dir.), « Inclure (le tiers)/Including the Third Term, » Intermédialités, n° 21, printemps 2013, https://www.erudit.org/fr/revues/im/2013-n21-im01011/ (consultation le 21 Octobre 2021).

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WIEVIORKA Annette, Mes années chinoises, Paris, Stock, coll. « Puissance des femmes », 2021.

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ZoneZadir (collectif), dossier « Zones à dire. Pour une écopoétique transculturelle », Littérature, vol. 201, n° 1, Armand Colin, mars 2021, p. 38–65, https://zonezadir.hypotheses.org/dossier-ecopoetique-transculturelle (consultation le 21 Octobre 2021).