Appel à contributions

« Fabuler / Fabulating »

n° 43 (printemps 2024)

Intermédialités. Histoire et théorie des arts, des lettres et des techniques

Intermediality. History and Theory of the Arts, Literature, and Technologies

 

Sous la direction de :

Michèle Garneau, Université de Montréal

Barbara Le Maître, Université Paris Nanterre 

Date de soumission des propositions : prolongée au 3 avril 2023
Annonce des résultats de la sélection des propositions : 1er avril 2023
Soumission des textes complets aux fins d’évaluation : 31 août 2023
Publication des textes retenus par le comité de rédaction : printemps 2024

 

 

Fabuler 

L’ambition de ce numéro est d’approcher l’acte de fabuler en interrogeant à nouveau frais, dans l’espace médiatique contemporain, sa présence et son action, ses raisons comme ses pouvoirs. Dans une perspective très ouverte sur la fable (à ses diverses acceptions comme à ses pouvoirs multiples ; à ses modes d’insertion comme à ses défis herméneutiques de voilement et de dévoilement); sur l’acte de fabuler (à ses raisons anthropologiques, philosophiques, poétiques ou scientifiques; aux êtres qui s’y adonnent à partir de différents nouages transdisciplinaires et (inter)médiatiques); à la fonction de fabulation (aux divers contextes politiques où elle est mise en branle et sur lesquels elle veut agir de manière créative), ce numéro voudrait contribuer à saisir la nécessité de fabuler qui traverse l’histoire. Dans cette optique, les propositions de contribution pourront se focaliser sur des œuvres littéraires, picturales, filmiques ou théâtrales, ainsi que des performances — sans restriction sur les plans temporel ou géographique : il suffit que la fable y soit —, ou encore mobiliser d’autres disciplines et champs du savoir — pourvu que l’analyse approfondissant la fabulation y soit.

À la suite d’Aurélia Gaillard, nous optons pour une définition ouverte de la fable, en l’occurrence, « toute représentation où le détour par la fiction est un mode d’accès à la vérité » (1996). Partant, la fable s’incarne diversement dans la littérature (en vers : les Fables de La Fontaine, 1668-94, en prose : le Décaméron, Boccace, 1349-53), la peinture (cf. la grande allégorie des Effets du bon et du mauvais gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti, vers 1338), le théâtre (Zoo ou l’assassin philanthrope, Vercors, 1959), le cinéma (documentaire : Pierre Perrault, Jean Rouch ou, du côté de la fiction, Éric Rohmer), la performance (artistique et, plus encore, rituelle). Sans compter la défense et illustration d’une « fabulation juridique » par le juriste et philosophe Bernard Edelman qui, invoquant des exemples dans la littérature (notamment les fables kafkaïennes) et la philosophie (la caverne chez Platon, la bile noire chez Aristote), plaide pour le recours à l’imagination dans le domaine du droit et des juristes. La force du « fabuler » découle de cette aptitude : la fable s’adapte, qui peut s’énoncer par la voie de n’importe quel médium, en passer par des matérialités et des traditions expressives multiples. Traversant les médias, la fabulation fait fi de toute spécificité — tous les moyens sont bons ! —, et c’est pourquoi la fable n’est pas seulement changeante, mais de surcroît, composite.

La fable forme souvent la condition d’accès au réel de l’histoire et son arrière-plan touche au politique. Nous nous situons ici sans conteste dans le prolongement de l’ouvrage princeps de Thomas More (L’Utopie, 1516), qui nous permet de souligner le caractère possiblement utopique — critique, politique — de la fabulation. L’enjeu consiste alors à comprendre comment la fable s’articule sur le réel de l’histoire (qu’elle vise par le détour), et comment elle projette ce qui n’est pas (encore) advenu. Dans 28 Days later (Danny Boyle, 2002), fabuler impliquera le recours à un matériau littéraire ancien — le Décaméron déplacé, d’une peste l’autre, en terrain zombie —, désormais combiné à la reviviscence de la fresque allégorique de Lorenzetti évoquée supra. Dans toutes les Amériques, des fabulations autochtones ont été revitalisées et diffusées à une très grande échelle grâce aux nouveaux médias;  dans la mouvance de Pour la suite du monde, le film inuit Atanarjuat, The Fast Runner (2001) de Zacharias Kunuk, a mis en branle une puissante fonction de fabulation. Dans un autre contexte émergent, lié à la crise écologique, la nécessité de fabuler a été ré-affirmée par des théoriciennes issues des sciences, des études culturelles et de l’éco-féminisme (Donna Haraway). Dans l’entremêlement de l’autobiographie et de la fiction, le geste d’une autofabulation s’est redéployé récemment qui, chez l’écrivaine Dominique Rollin, le cinéaste Nanni Moretti, ou encore, le bédéiste Seth (pour ne prendre que ces exemples), permettant au sujet de se projeter dans des situations imaginaires, voire fabuleuses et invraisemblables. Si la « vie est une fable », comme le soutient le neurobiologiste Jean-Didier Vincent, fabuler ne serait-il pas, en retour, un acte essentiel à celle-ci ? Nous nous intéressons à d’autres contextes et études de cas qui pourraient être mis à contribution afin d’enrichir la réflexion et l’ouvrir vers des perspectives encore inconnues de nous.

L’ambition de ce volume, en résumé, est d’interroger l’expérience instigatrice de ces représentations primordiales et obliques que sont les fables, en tant qu’une telle expérience engage : 1°) la plasticité des formes : la fable est affaire de dissimulation, de dévoilement, de métamorphose, bref, d’élaboration de figures et de modulation du temps ; 2°) la construction et la valeur de savoirs subtils — « enseignement voilé » (Gaillard), la fable ne va pas sans leçon — et, par voie de conséquence, le registre de l’épistémologie ; 3°) le potentiel critique d’un discours qui, tout en jouant des écarts, tout en masquant ou en « projetant » ses vues, n’en vise pas moins le réel et ses engrenages historiques. Les propositions pourront dès lors s’attacher aux nombreuses poétiques de la fabulation, de même qu’aux modalités d’inscription du fabulaire dans un récit plus vaste — dont la fable ne constitue qu’un moment, ou un fragment.

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Intermédialités est une revue scientifique semestrielle qui publie en français et en anglais des articles inédits évalués de façon anonyme par des pairs.

Les propositions d’articles (350–400 mots) doivent être acheminées avant le 3 avril 2023. En plus du résumé de la proposition, une bibliographie préliminaire (cinq livres ou articles) ainsi qu’une brève notice biographique (programme d’études, champs d’intérêt, 5–10 lignes) sont demandées. Les propositions seront évaluées par le comité scientifique de la revue, en fonction de l’originalité de l’approche et de la pertinence de la problématique. Elles devront être envoyées avant le 15 mars 2023 aux adresses suivantes : 

michele.garneau@umontreal.ca et  barbara.lm@parisnanterre.fr

Les articles définitifs seront à soumettre le 31 août 2023. Ils devront avoisiner les 6 000 mots (40 000 caractères, espace comprises) et pourront comporter des illustrations (sonores, visuelles, fixes ou animées), dont l’auteur·e de l’article aura pris soin de demander les droits de publication.

Il est demandé aux auteur·e·s d’adopter les normes du protocole de rédaction de la revue, disponible à l’adresse suivante :

[FR]  http://intermedialites.com/wp-content/uploads/2016/01/Protocole-de-rédaction-Intermedialites-mai-2017-FR.pdf

[EN] http://intermedialites.com/wp-content/uploads/2016/01/Submission-Guidelines-2017-EN-May-2017.pdf

Pour de plus amples informations sur la revue, consultez les numéros accessibles en ligne sur la plateforme Érudit : http://www.erudit.org/fr/revues/im/

 

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Bibliographie

ARMAND, Guilhem, Les fictions à vocation scientifique de Cyrano de Bergerac à Diderot. Vers une poétique hybride, Presses Universitaires de Bordeaux, 2013.

BOUCHARD, Vincent, « Les dispositifs fabulant dans le cinéma de Pierre Perrault », Traversées de Pierre Perrault, Michèle Garneau et Johanne Villeneuve (dir.), Québec, Éditions Fides, 2009, p. 53-68.

DELEUZE, Gilles, « Les puissances du faux », Cinéma 2 L’Image-Temps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1985, p. 165-202.

DESCOLA, Philippe, La Fabrique des images. Visions du monde et formes de la représentation, Philippe Descola (dir.), Paris, Musée du Quai Branly & Somogy Éditions d’Art, 2010.

DIDI-HUBERMAN, Georges, L’homme qui marchait dans la couleur, Paris, Minuit, 2001.

EDELMAN Bernard, « La fabulation juridique », revue Droits, 2005/1, No 41, p.199-218. https://www.cairn.info/revue-droits-2005-1-page-199.htm

GAILLARD, Aurélia, Fables, mythes, contes. L’esthétique de la fable et du fabuleux (1660-1724), Paris, Honoré Champion, 1996.

GASPARINI, Philippe, Poétique du Je, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2016.

GAUTHIER , Jennifer, « Speaking Back with Similar Voices: The Dialogic Cinema of Zacharias Kunuk and Pierre Perrault », Quarterly Review of Film and Video, Volume 27, Issue 2, 2010, p. 108 : https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10509200802241456

HARAWAY, Donna, SF: Speculative Fabulation and String Figures, Kassel, Hatje Cantz Verlag, 2011.

HARTMAN, Saidiya V. “Venus in Two Acts.” Small Axe, vol. 12, no. 2, 2008, pp. 1–14.

LE MAÎTRE, Barbara, Zombie, une fable anthropologique, Nanterre, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2015.

MORETTI, Nanni, Palombella Rossa (1989); Journal Intime (1993); Le caïman (2006).

NYONG’O, Tavia, Afro-Fabulations : The Queer Drama of Black Life. New York University Press, 2019.

PERRAULT, Pierre, Caméramages Pierre Perrault, Éditions de l’Hexagone / Edilig, 1983.

PROST, Antoine, « L’expérience imaginaire », in Douze leçons sur l’histoire, Paris, Éditions du Seuil, 1996, p. 175-187.

RANCIÈRE, Jacques, La Fable cinématographique, Paris, Éditions du Seuil, 2001.

RICŒUR, Paul, « L’imagination dans le discours et dans l’action » dans Henri Van Camp (dir.), Savoir, faire, espérer : Les limites de la raison, vol. 1, Bruxelles : Presses de l’Université Saint-Louis, 1976, p. 207-228.

ROLIN, Dominique, Le Gâteau des morts, Paris, Denoël, 1982.

SCHEINFEIGEL, Maxime, « La Fable documentaire », in Jean Rouch, Paris, CNRS Éditions, 2008, p. 101-116.

VEYNE, Paul, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Essai sur l’imagination constituante, Paris, Éditions du Seuil, 1983.

VINCENT, Jean-Didier, La vie est une fable, Paris, Odile Jacob, 1998.

 

Collectifs :

Traversées de Pierre Perrault, Michèle Garneau et Johanne Villeneuve (dir.), Québec, Éditions Fides, 2009.

Fabulations nocturnes, Écologie, vitalité et opacité dans le cinéma d’Apichatpong Weerasethakul, Érik Bordeleau, Tony Pape, Ronald Rose-Antoinette et Adam Szymanski (eds), Open Humanities Press, coll « Immediations », 2017.