Appel à contributions

« Refaire / Redoing »

n29 (printemps 2017)

Intermédialités : Histoire et théorie des arts, des lettres et des techniques

Sous la direction de :

Anne Bénichou

(Université du Québec à Montréal)

Date de soumission des propositions : 15 mars 2016
Annonce des résultats de la sélection des propositions : début avril 2016
 Soumission des textes complets aux fins d’évaluation : 15 septembre 2016
Publication des textes retenus par le comité de rédaction : mars 2017

Refaire

De nombreux débats se sont récemment tenus autour de la notion de reenactment, un terme anglais qui n’a pas d’équivalent satisfaisant en français et par lequel on désigne les phénomènes de recréation, de reconstitution, de reprise et d’autres formes de réactivation vivante d’œuvres performatives du passé, d’évènements historiques ou de phénomènes culturels. Lereenactment implique une « réincarnation » ; il engage des corps, des gestes, des actions. Il permet de transmettre des œuvres, des savoirs, des valeurs entre les individus, les groupes sociaux, les générations de façon directe, d’un corps à un autre, en privilégiant l’oralité, la mémoire corporelle et kinesthésique.

 

Sa logique de transmission relève plus du répertoire que de l’archive. À l’inverse d’une collection ou d’un patrimoine que l’on conserve, le répertoire est rejoué, recyclé, actualisé. Il est évolutif, expansif, dynamique et autorise les combinaisons (Litvan, López Izquierdo). Dans le domaine de l’anthropologie, Diana Taylor l’envisage comme un ensemble de gestes transmis par le corps à travers des pratiques vivantes, selon un processus pleinement créatif de répétitions et de différences. Les sociologues Robert Faulkner et Howard Becker parlent à propos du jazz de « répertoire en action ». À travers des dynamiques d’apprentissage, de routine, de négociation, d’improvisation, de transposition, les musiciens créent ensemble et sur le vif des variations à partir de la répétition d’un nombre réduit de schémas.

 

Le reenactment consiste donc à perpétuer en actualisant et en transformant. Aussi, il met en jeu des processus de confirmation et d’émancipation. À travers la répétition, il transmet des connaissances, des savoirs, des conceptions du monde ; il confirme des ordres symboliques et sociaux, des valeurs philosophiques, politiques, esthétiques, morales, etc. Il génère des formes d’identification et des sentiments d’appartenance à un groupe. Grâce à sa propension à transformer, il a la capacité de suspendre ces logiques de confirmation et d’adhésion et peut jouer un rôle émancipateur et contestataire. Il est un instrument d’agentivité au sens du terme anglais agency qui désigne la capacité des sujets à agir sur leur réalité sociale. Les modifications et les mutations que les acteurs opèrent leur permettent de se réinventer en fonction des changements qui surviennent dans leur société et dans leur environnement (Taylor).

 

Cette capacité critique et émancipatrice du reenactment a été soulignée par plusieurs théoriciens des performance studies. Ils y voient un mode de transmission permettant d’échapper aux institutions archivistiques qui contrôlent l’accès et l’interprétation des documents, selon les intérêts des pouvoirs en place. Rebecca Schneider soutient que le reenactment, en tant que pratique culturelle vivante, serait une « forme performative d’archive » apparentée au symptôme et à la contre-mémoire. Il permettrait de produire des contre-histoires et de donner une parole aux groupes minoritaires. Selon André Lepecki, le reenactment en danse aurait le potentiel de libérer les œuvres d’un certain nombre de diktats : la conformité des reprises à l’original, le contrôle du chorégraphe sur le devenir de son œuvre, l’emprise du système économique et de l’industrie culturelle sur la création. Il serait un geste politique de déverrouillage permettant une libre circulation des œuvres.

 

Si ces auteurs reconnaissent pleinement la fonction mémorielle du reenactment et revendiquent même une dialectique de l’archive et du vivant, du direct et du médiatisé pour le penser, c’est dans la perspective d’analyser sa capacité à subvertir la logique de l’archive et l’économie des médias. Chez eux, l’agentivité et le potentiel émancipateur du reenactment tiennent à sa nature corporelle, directe et vivante. Pourtant, quel que soit le champ d’activités, les pratiques de reenactment sont étroitement intriquées aux technologies d’enregistrement et de captation, elles participent de la culture archivistique, elles circulent sur les réseaux de communication et d’information, et s’inscrivent aisément dans les économies du spectacle et les industries culturelles et touristiques.

 

C’est pourquoi nous souhaitons développer dans ce numéro une approche intermédiale qui permettra de saisir et de penser la complexité des liens que les pratiques de reenactmententretiennent avec la culture archivistique et les médias. Les enregistrements photographiques, filmiques, vidéographiques, sonores, l’établissement de partitions, de notations ou de scripts, la conservation des costumes, des instruments de musique, des accessoires, etc., sont concomitants aux pratiques de reenactment. Au-delà de leurs valeurs de témoignage et d’authenticité propres aux archives, ces corpus documentaires sont orientés vers la remise en actes. Ils rendent possibles l’appropriation et l’actualisation des pratiques qu’ils documentent par de nouveaux acteurs qui peuvent les interpréter à leur manière et les transformer.

 

Enregistrés avec des technologies actuelles et diffusés dans les nouveaux médias, les reenactments engendrent des phénomènes de remédiation des images. Des pratiques culturelles et artistiques que nous ne connaissions qu’à travers des captations de mauvaise qualité sont désormais « disponibles » en images couleur, haute définition, ou bandes sonores sophistiquées. Nés numériques, ces documents sont conservés selon les nouvelles formes de stockage d’informations dont l’organisation, l’accès, l’usage et le contrôle diffèrent des archives « domiciliées ». Non seulement ils sont plus accessibles que ceux des générations précédentes, mais ils ont la capacité de générer des formes de sociabilité proches de celles de la culture orale. À travers leur circulation sur le Web, ils engendrent des processus d’identification et d’adhésion, créant des communautés virtuelles. Leur reproductibilité presque illimitée et la facilité avec laquelle on peut les approprier et les transformer encouragent la création de nouveaux contenus dont la portée critique reste à évaluer.

 

Nous sollicitons des textes qui proposent une réflexion théorique sur le reenactment  appréhendé selon les relations étroites qu’il entretient avec les archives et les médias, et dans la perspective de saisir son potentiel critique : les dialectiques d’adhésion et de contestation qu’il génère, les nouvelles formes d’actions collectives qu’il engendre, ses liens aux cultures minoritaires, sa capacité à produire des contre-mémoires et des contre-histoires. Nous souhaitons aussi des études de cas issues de champs d’activités et de disciplines plurielles, abordant lereenactment selon une approche intermédiale. À titre indicatif :

 

–       Les phénomènes de reprise et de reenactment dans les arts vivants (danse, théâtre, art de la performance, musique, cirque, etc.) : les interactions entre performances, enregistrements, scripts et partitions, répertoires ;

–       Les usages du reenactment dans les musées d’art et d’anthropologie, particulièrement dans le cadre d’expositions ou d’activités de médiation ;

–       Les remakes cinématographiques dans la mesure où ils mettent en jeu et problématisent des formes de réincarnation ;

–       Les recréations de concerts rock à partir des setlists et des enregistrements ;

–       L’histoire vivante et ses liens aux archives et aux médias : les recréations d’événements historiques, les pageants, les musées d’histoire vivante, etc. ;

–       Le patrimoine culturel immatériel : la polémique suscitée par la convention de l’UNESCO adoptée en 2003, le recours aux nouvelles technologies pour maintenir vivantes des pratiques culturelles menacées ;

–       L’archéologie expérimentale : entre les technologies numériques de reconstruction 3D et l’expérimentation vivante ;

–       Les formes virtuelles de reenactments, notamment sur le Web, dans Second Life ou dans certains jeux vidéo ;

–       Le reenactment à la télévision : les recréations de scènes de crime et la forensique dans les séries télévisées, le rôle du reenactment dans la fabrication des stars de la téléréalité.

 

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Intermédialités est une revue scientifique bisannuelle qui publie en français et en anglais des articles évalués de façon anonyme par les pairs.

 

Les propositions de contribution (300 mots max.) devront être écrites en anglais ou en français, et envoyées avant le 15 mars 2016 à la directrice du numéro thématique, à l’adresse suivante : benichou.anne@uqam.ca

 

Le résultat de la sélection des propositions sera annoncé début avril 2016 et les articles seront à remettre pour le 15 septembre 2016. Ils seront ensuite évalués anonymement par les pairs. Le comité de rédaction de la revue rendra sa décision finale de publication au courant de l’automne. Les articles retenus seront publiés au printemps 2017.

 

Les articles définitifs ne devront pas dépasser 6 000 mots (40 000 caractères espaces compris) et peuvent comporter des illustrations (sonores, visuelles, fixes ou animées) dont l’auteur de l’article aura pris soin de demander les droits de publication.

 

Il est demandé aux auteurs d’adopter les normes du protocole de rédaction de la revue disponible à l’adresse suivante :

[FR] http://intermedialites.com/wp-content/uploads/2016/01/Protocole-de-rédaction-Intermedialites-mai-2017-FR.pdf

[EN] http://intermedialites.com/wp-content/uploads/2016/01/Submission-Guidelines-2017-EN-May-2017.pdf

 

Pour de plus amples informations sur la revue, vous pouvez consulter son site web: http://www.intermedialites.com, ainsi que ses anciens numéros accessibles en ligne sur la plateforme Erudit: [http://www.erudit.org/revue/im/apropos.html].

 

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Bibliographie

Faulkner, Robert R. and Howard S. Becker, « Do you know…? ». The Jazz Repertoire in Action, Chicago, The University of Chicago Press, 2009.

Lepecki, André. « The Body as Archive : Will to Re-Enact and the Afterlives of Dances », Dance Research Journal, vol. 42, no 2, hiver 2010, p. 28-48.

Litvan, Valentina and Marta López Izquierdo, « Répertoire(s). Mode d’emploi », Pandora, no 7, 2007, p. 9-17.

Schneider, Rebecca. Performing Remains. Art and War in Times of Theatrical Reenactment, London, New York, Routledge, 2011.

Taylor, Diana. The Archive and the Repertoire: Performing Cultural Memory in the Americas, Durham, Duke University Press, 2003.